Voici une autre lettre de une Nine. Une lettre violente et belle, sur ce que grandir représente, sur ce que la jeunesse laisse comme trace dans une vie, et chez une femme.
Ma chère petite,
Ma toute petite fille. J’ai une tendresse infinie pour toi.
J’entends ta souffrance et les cris de douleur que tu étouffes dans ton
oreiller.
Tu as 20 ans et tu souffres du monde. Je ne veux pas te dire
que tout va bien aller car ce n’est pas vrai. Cent fois encore, tu vas
tomber ; tu vas avoir mal à en crever. Mais tu vas te relever. Tu vas
découvrir une force que tu ne te connaissais pas.
Tu ne peux pas le croire mais tu sauras faire la paix avec
ce corps que tu détestes. Ce corps n’appartiendra bientôt plus à la mère qui
t’a faite, ni aux hommes à qui tu le donnes. Tu vas le faire tien. Il saura te
dire qu’il a mal et tu vas apprendre à l’écouter. Vous allez vous apprivoiser.
Et bientôt, l’alcool qui sert à l’endormir ne sera qu’un mauvais souvenir.
Petit à petit, tout doucement, tu vas le regarder en plein
jour et tu vas transformer cette haine en amour. Ma petite, je te sens pleurer
car tu n’y crois pas. Je sais que tu tuerais pour être une de ces autres que tu
admires. Je sais que tu as mal, que tu souffres de ce corps qui a grandi plus
vite que toi. Tes seins vont s’alourdir, ta taille va s’affiner et, sans même
que tu ne le remarques, un jour tu seras une femme.
Longtemps, tu vas chercher à être belle dans le regard de
l’autre. Tu vas souffrir de n’être pas celle que tout le monde aime. Le chemin
est encore long. Tu vas vivre encore dans l’excès. Tu voudrais faire taire ce
corps trop encombrant. Tu sauras bientôt « qu’on ne naît pas femme, on le
devient ».
J’entends tes moqueries sur les couples et l’amour. Tu as
envie de quelque chose de beau et d’unique. Tu as envie de te sentir vivante et
tu vas être servie. Tu vas connaître la passion et la folie. Tu aimeras de
manière inconditionnelle. Tu aimeras avec la force de tes 20 ans, à corps
perdu. Tu vas connaître aussi la douleur qui transcende le corps. Tu vas crier
son nom au milieu de la nuit, tu le chercheras partout. Sentir son parfum te
fera pleurer. Les musiques te donneront la nausée. Tu vas perdre l’appétit et
le sommeil. Tu te sentiras seule au milieu des foules. Et pendant longtemps, tu
le chercheras dans tous les hommes.
Cet abandon sera ta plus grande souffrance. A ce moment de
ta vie, tu vas te noyer. Une partie de toi va mourir dans cet amour
dévastateur. Maintes fois, tu croiras ne jamais t’en sortir vivante.
Mais le temps a cette vertu de guérir les pires blessures.
Tu vas réapprendre à vivre. Tu trouveras au fond de ton cœur meurtri la force
d’aimer à nouveau. Et alors que tu croyais ne jamais te relever, tu vas
découvrir la force que tu portes en toi. Tu ne te souviendras même plus de
cette douleur vive qui te prenait aux tripes.
Tu verras qu’il ne restera que les belles images. Ton cœur
transformera cette violence en jolie tendresse. Et tu apprendras que la passion
est différente de l’amour. Tu sauras qu’on ne bâtit pas dans la folie. Tu vas
même être heureuse de l’avoir vécu. Des fois, tu auras de la nostalgie. Quelque
part, au fond de toi, tu auras envie de le revivre car jamais plus tu ne te
sentiras aussi extrêmement vivante que dans cet amour. Mais tu sauras aussi que
l’on ne peut aimer qu’une seule fois avec cette intensité.
Tu dis aussi que tu n’auras pas d’enfants, que jamais tu ne
leur feras subir cela. Tu penses que tu ne dois pas leur imposer de vivre dans
ce monde pourri. Pardonne-moi si je souris mais c’est que tu vas te débattre
avec ton envie de devenir mère. Tu vas sentir, niché au creux de ton ventre, ce
désir de donner la vie. Je te comprends mais c’est la nature qui va te rappeler
à elle. Et tu n’y pourras rien. Ce ne sera pas intellectualisé. C’est là que tu
vas connaître ton côté primitif. C’est aussi là que tu comprendras qu’il y a
l’infinie douceur de la maternité en toi.
Tu hais les gens et le monde et tu détestes ce que les
adultes en ont fait. Tu ne comprends pas et tu t’élèves tant que tu peux contre
l’injustice, contre l’argent, contre l’égoïsme. Tu ne te sens pas appartenir à
la race des humains qui laisse crever l’Afrique. Et tu n’en finis pas d’avoir
mal de ce manque de sens. Si je te dis
que plus tard, tu vas devenir plus mesurée mais toujours humaniste, tu hurles
que jamais tu ne te trahiras. Tu hurles pour couvrir le silence du vide. Tu es
belle dans ton excès. Ce que tu prends pour une trahison ne sera que ta lente
et douloureuse construction. Tu vas découvrir tes propres limites de femme et
tu seras plus indulgente avec les autres. Un jour, bien plus tard, tu sauras
qu’entre le blanc et le noir, il y a une infinité de gris.
Je te rassure, tu ne t’oublieras pas. Tu vas juste choisir
les combats que tu mènes. Tu sauras écouter l’autre même si tu n’es pas
d’accord. Tu vas t’enrichir de lectures et de discussions. Et des fois même, tu
sauras changer d’avis sans pour autant te renier.
Ma très chère toute petite, mille fois encore tu vas
t’écorcher le cœur et le corps sur le chemin de ta vie et mille fois encore, tu
vas pleurer. Tu vas te définir dans la violence et t’épuiser jusqu’à ce que tu
découvres en toi la douceur et la sérénité. Tu vas faire de ta haine une force
et un moteur.
Ton cœur est comme ton corps. Tu verras qu’un jour, tu
passes tes doigts sur tes plaies et tu ne les sens plus. Tu sais qu’elles sont
là, mais elles ne font plus mal. Elles ne deviennent que les marques du passé
qui t’a faite.
Ma furie, jamais je ne te renierais et toujours j’entendrais
tes hurlements et tes pleurs. Tu m’as faite. Tu m’as construite à la force de
tes tous petits bras et je n’aurais pas aimé être une autre car j’aime celle
que nous devenons.
Laisse faire la vie, souffre encore, exulte encore. Laisse
toi porter, apprends sans cesse. Mais s’il te plaît, ne désespère pas. Laisse
le temps faire son œuvre et tu deviendras femme.
Et de nouveau....BRAVO ! Tes mots sont justes, si justes .... Nous avons tous cette jeune fille au fond du coeur ....
RépondreSupprimerMarie
Superbe lettre moment très émouvant pour moi qui me rappelle certaines choses du passé. J'aurai pu être cette petite fille... Et magnifiquement écrit. Merci
RépondreSupprimerJ'ai beau avoir eu la joie de lire le texte avant tout le monde, rien n'y fait : quand je le relis, l'émotion est toujours là ! Bravo, et merci pour ce texte Nine. Je frémis d'avance à l'idée que d'autres sont en train d'arriver... :-)
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