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lundi 24 janvier 2011

Rêve de liberté, un rêve libertin ?

La nuit ne lui suffisait plus. Plus, elle voulait plus. Il fallait, plus. Sans cesse, elle ruminait son désir et sa frustration. La nuit ne suffisait plus. Elle se sentait prisonnière, enfermée dans son époque et dans son corps. Un «esprit pervers» —comme aurait dit son confesseur, s’il avait su- dans un corps désespérément trop sain. Un monde par deux fois trop bien pensant, et trop frileux. Et, coincée entre sa famille et une morale dont elle avait bien du mal à se déprendre, une Envie majuscule d’être prise, comme ça, au dépourvu, par le grand chariot d’un destin caracolant sans but vers l’horizon doré, mais en mouvement, lui au moins. Le royaume de Morphée s’étiolait autour d’elle ; la nuit ne suffisait plus. Face à sa terrible soif de vie, la magie des songes capitulait au gré de ses pulsions.
Elle avait pris conscience de l’étroitesse du carcan dans lequel elle évoluait le jour où son percepteur, corrigeant l’une de ses dissertations, avait entouré en rouge un bien étrange passage :

«Qui quête près de la fontaine ? 
Le curé moraliste soulage les bourses des jeunes païens qui venaient offrir leurs libations à la déesse de la fertilité». 

Après interrogation, le pauvre érudit en était arrivé à une conclusion duale : soit sa jeune pupille était une libertine refoulée mais non moins immorale, soit son entendement était faible et laissait parfois place à une glossolalie des plus absurdes, en témoignait l’incongruité textuelle qu’il avait sous les yeux. Le Sieur Gonplass, tenu par une impérieuse obligation morale de transparence envers ses employeurs, fit rapport de ses préoccupations aux parents de la demoiselle. Tous trois décidèrent de la réprimander, quand bien même il n’y avait pas lieu de penser qu’elle était en voie de perdition : il vaut toujours mieux prévenir que guérir. Après tout, on ne saurait pêcher par excès de zèle. Ainsi fut fait ; la pauvre enfant eut à subir une verte remontrance de son percepteur, une leçon de conduite de sa mère et un sermon inspiré de la part de la grenouille de bénitier du quartier qui, en l’absence de Sa Seigneurie l’Evêque de la Roche-Noire, faisait office de référence en matière religieuse. 

La nuit ne suffisait plus. Non seulement comme espace de rêve, mais encore comme refuge, fugace, face à une société, à une famille, trop moraliste et faussement dévote. Ce qu’elle voulait, c’était vivre ! Sentir la vie en elle, la prendre à bras-le-corps et en extraire la substantifique moelle, cueillir à la source le miel des jours et la crème des nuits. Et puis voyager, pourquoi pas ? Et rencontrer plein de monde aussi. Elle sentait bouillir dans son ventre une irrésistible passion. Passion de liberté, certes, libertine peut-être, mais passion de vie, souffrance que d’avoir été trop et trop longtemps privée de bonheur au motif que le bonheur n’est pas de ce monde. Elle avait été une élève sérieuse, était allée à toutes les messes et à toutes les séances de catéchèse, et pourtant, Saint-Augustin la laissait toujours de marbre. 

Elle rêvait d’autre chose ... Combien de fois s’était-elle imaginé que des gouttes, semblables à des perles de lait, à la clarté de la lune, coulent le long de son visage pendant l’un de ces nombreux voyages ? Mais au château familial, jamais de telles larmes ne lui viendraient, en tous les cas pas ce genre de larmes, pas des larmes de plaisir. Ici, il n’y avait pour elle qu’à pleurer d’ennui et de frustration. Combien de fois s’était-elle vue, en songe, partir à la rencontre du soleil en chevauchant un bel étalon jusqu’au petit matin, jusqu’à ce que son monde à elle disparaisse et qu’enfin, elle atteigne l’inconnu, le splendide, l’inexploré, le sauvage. 
Marre. Marre de la civilisation. Marre d’aller à confesse. Marre des parents, des tuteurs, des bonnes soeurs et des copines trop timorée pour être des amantes. Marre enfin d’un nom à rallonge qui n’avait aucun sens ni aucune valeur dans la vie qu’elle entendait mener. Tout ça, c’était fini. Alors, un soir, elle prend son baluchon et fait le mur. Ca n’est pas la première fois qu’elle fuit ainsi le cocon familial. Elle est rompue à l’exercice. Elle connaît chaque aspérité du mur, du balcon au lierre qui monte à sa rencontre. Agile et souple, elle se laisse porter par la masse végétale et s'immisce entre ses feuilles. Comme tant d’autres fois ... Sauf qu’aujourd’hui, c’est différent. Aujourd’hui, elle s’en va, pour de bon. 
Angèle De la Croix ne reviendra pas ... la nuit ne suffit plus. 

Marcel Shagi 

6 commentaires:

  1. Bon, j'hésitais, mais après tout, un commentaire, c'est aussi fait pour critiquer, non ?
    Donc, je trouve, très cher Marcel (j'insiste), que cet écrit plonge un peu trop dans le cliché, dans le Bovarisme (mais en moins bien). C'est toujours très bien écrit (trop, même), mais quand même : ça me semble un peu déjà vu le côté "l'adolescente dévote découvrant qu'elle a un corps, et qui envoie bouler tout le monde parce qu'elle est enfermée et privée de toute jouissance par de méchants adultes castrateurs". C'est pas dénué de sens, mais c'est facile et prévisible. C'n'est que mon avis, bien sûr.

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  2. Ce n'est pas tant le thème que j'ai travaillé, Elenor. Bien entendu, il est d'une confondante banalité.

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  3. Moi j'aime bien !
    "Ce n'est pas tant le thème que j'ai travaillé". Alors, quel est-il finalement ?

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  4. (Discours pour trois voix et deux mains)

    Ce que j'entendais, c'est que le thème n'est pas ce qui m'a occupé. Pas que j'en ai travaillé un autre.

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  5. Effroi du félin
    petite mort n’est pas mort
    la peur est désir

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  6. DES SERPES ! DES SERPES !!!

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