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Quelques pages très utiles pour comprendre et naviguer sur ce blog

lundi 20 janvier 2014

Mon Soleil



L'amour se renouvelle sans cesse et nous surprend toujours lorsqu'on s'y attend le moins. La personne pour qui l'on s'enflamme devient un alpha dont on souhaite ardemment devenir l'oméga. Historiette d'un alpha évanoui sans son oméga ... 




J'ai aimé un soleil
Frais comme la nuit
Lorsqu'au point du jour elle sourit
Avant de prendre son congé

Un soleil tout petit, un astre de poche
Que j'aimais à serrer pour me réchauffer
Que je contemplais pour ne plus penser
A ce qui se cache dans les ténèbres

Il suffit que j'y pense pour le retrouver tel qu'il était quand on s'est rencontré
Moi, je dérivais dans le cosmos, sur la queue d'une comète
Et lui, il dansait avec les astres
Une danse oscène : celle des mille et un voiles

Je le vois flotter dans des rubans de feu
Qu'il agite dans les vents marins
Le monde n'est soudain plus qu'un ciel de cristal
Qu'il brise en étoiles à chacun de ses pas

Nimbé de lumière, il se meut sans accroc
Et tous les dieux des païens font partie de la danse
Ils l'encerclent et chantent à plein poumons
Le folklore des divins et de leur toute puissance

Fier et insouciant, mon soleil s'envole
Entrechats, pas de loups ; il marche dans l'air
Et je vois après lui flotter dans l'atmosphère
Des volutes bleutées et des nuages verts

Il domine le monde comme on domine la mer
Il est seul au milieu de ce grand univers
Et les vagues de lait des cieux embrasés
Ne peuvent pas l'atteindre : il glisse à leur surface

Ballet des astres le roi soleil
Qui m'a ravi dès le réveil
Gonfle mon coeur d'un désir tendre
Je n'ai de cesse que de l'attendre

Il descend, il m'arrive, mon cher petit soleil
— « Un peu plus bas, encore un peu, viens me prendre ! »
Mais voilà qu'il se sauve et me laisse glacé
De frisson et d'effroi : il ne s'est pas arrêté.



Marcel Shagi

mercredi 15 janvier 2014

Résistance poétique


L'on m'a souvent demandé à quoi servait la poésie et pourquoi je m'entêtais à écrire des poèmes. Parmi toutes les réponses possibles, en voici une qu'aurait pu donner Hugo : pour ne pas oublier, pour résister au temps, et faire entendre la voix des perdants et des révoltés. "Indignez-vous", disait l'autre ; il aurait tout aussi bien pu dire "devenez poètes".




Evanescente amie qui me point tout soudain,
Tu m'animes et m'enjoues, je suis prêt à écrire ;
Je trempe mon stylet dans tes éclats de rire,
Et assène un poème à grands coups de gourdin.

Le vers est plein de vie quand l'image à du galbe :
Le chaos de la langue est un grand feu de joie
Où dansent les idées, où les mots qui rougeoient,
Contre Histoire et Oubli ravivent le coeur d'Albe.

Voici qu'elle se sauve, évanouie dans l'instant ;
La gloire et les vaincus s'en retournent au néant,
Je me retrouve seul, sans un mot et contrit.

L'Histoire s'est écrite au dépens des perdants ;
Muse ! si tu fuis et me laisse pantelant,
Qui peindra les Curiaces et leur honneur flétri ?

Marcel Shagi

vendredi 3 janvier 2014

La Privation - seconde partie




Avec un peu de retard, toute l'équipe du Sous Espace Sale vous souhaite une heureuse année 2014 et vous offre, comme promis, la suite de notre feuilleton. 






La privation (2)



Je me réveille. Voilà l’origine de mes certitudes. A poil, dans la brume ouatée du vomi de quelqu'un d'autre, muni en tout et pour tout d'un caleçon de lin que je n'avais pas lorsque je suis arrivé dans cette maison. La tête en mode presque. Ambiance fin du monde. Lancinantes stridences en mode mineur, quelques notes sur la portée.
Qu'est-ce qui s'est passé? Coma éthylique, fatigue accumulée, je ne savais pas dans quel désordre j'avais mis les pieds. Il y a un canapé, une fenêtre aux volets fermés, un miroir et un hétéroclisme en vrac de trucs et d'autres, de la gnôle, des porte-jarretelles sur une patère chrome & ivoire, des masques vaudou récoltés dans plusieurs fêtes foraines, des affiches publicitaires parmi des jetons de casino, des photographies cornées d’événements datant des années cinquante, des colonnes de livres soutenant un plafond lézardé et gonflé d'humidité, un piano étirant ses touches pour atteindre la frange de lumière coulée des persiennes, un bras de mannequin vert olive, des photocopies de cours de sociologie éparpillées au hasard d'un vent sournois qui se faufilait par les fissures des murs en produisant un bourdonnement sourd et persistant. Des cendriers déversaient leur trop-plein sur les tapis grand siècle importés de Chine. Quelqu'un(e) avait écrit au gloss sur le miroir,

Chez Sofian, la fête entrait dans sa quarantième heure et sans aucune transition les lettres dansaient une sarabande frénétique devant mes yeux incrédules. Rouge puis rose pâle, elle changeaient de couleur comme d'angle, de perspective, de position et de coordonnées spatiales avec la simplicité ironique du sourire d'un chat suspendu dans les airs. La ligne s'est transformée en caractères mandarins souriants qui sautillaient une gigue endiablée. Une phrase de mon professeur de physique revenait régulièrement – les mathématiques sont une expression de la volonté de vivre. Les aborigènes se connectent à la trame de l'espace-temps en surfant sur des équations d'une élégante simplicité. Les hommes de la Renaissance truffent leurs tableaux de références cryptées, les élaborations de pointe de leurs contemporains. Des particules de poussière dans le vide. Des souvenirs sur des bouts de papier, tu leur dois le respect, la nostalgie et la tristesse légère des jours enfuis – surtout si tu ignores à qui appartient la mémoire fixe de ces gens. En 1610, François Ravaillac assassine Henri IV en espérant sauver la religion catholique – le roi condense la pulsation du cœur de Dieu. En 1461, la flamme consume François Villon qui écrit la création comme cause collective, la défense des réfractaires et des réprouvés, l'esprit gourmand du monde distillant sa sève dans le chaos rigide des apocalypses. L'apparition du livre imprimé se produit en Chine, bien avant la machine de Gutenberg : il existe un extrait du Sûtra de diamant imprimé en xylographie par Wang Jie en 868, la première forme virale de contamination par la connaissance. Et tout se floutait, la conscience dessinait des arbres nus aux branches infinies ondulant comme de la musique, aux travers de larges espaces sans couleur. Hieronymus van Aken achève en 1505 Le jardin des délices, triptyque que l'on peut méditer au musée du Prado – je voyais là la consécration, l'esprit un et indivis sur la terre comme au ciel. Une réunion des principes accouchant de résultats fiers et droits, la vision établie d'un univers aux paramètres ingérés, clairement heureux, l'absolue perfection de la forme. Les bandes armées de révolutionnaires allemands ne cherchaient rien d'autre, ne circoncisaient leur rêve que pour mieux en ignorer le prépuce isolé, la preuve indubitable, l'immortalité de l'âme. Ainsi les rigorismes de Robespierre, la raison sans chair ni sang et l'angélisme mortel de Louis-Antoine Saint-Just, la vertu, la nation, l'armée. Le jeu des oppositions dynamiques, la théorie des contraires. Tout indique que l'anti-nômos est le synonyme du nômos. Je butais sur la capacité de mon esprit à ranger les informations selon un classement dont je ne comprenais pas le système de valeur.