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mercredi 24 juin 2015

Le raton laveur



Et bien alors Marcel, on ne poste plus ?
Un petit texte inspiré de ce style (trop ?) plein d'incises et de digressions sans queues ni têtes que tu emploies parfois, pour te redonner le moral mon chou.





A Siana, mon amour ...



Il était une fois un jeune raton laveur. La petite boule de poil venait juste de rosser son premier castor, ce qui, comme chacun sait, indique l'âge de raison chez les ratons.
 (En effet, c'est un fait bien connu, les ratons laveurs et les castors ne s'apprécient guère. Une rivalité aussi vieille que le monde les oppose et en a fait les Montaigu et Capulet du règne animal). Donc, notre raton venait juste de devenir un adulte. Tout fier de lui, et encore plein de sa récente victoire, il roulait des mécaniques au bord de la rivière.


Ainsi que la tradition ratonne (féminin de "raton") le stipule, tout raton qui arrive à l'âge de raison se doit de pavaner sur les lieux de son forfait au moins 3 heures et demi avant de rentrer au bercail (3 heures trente étant le temps qu'il faut à un barrage pour céder si son castor ne revient pas l'étayer).











Notre raton n'attendit toutefois pas 3 heures et demi et, trop ravi d'être enfin un adulte fort et indépendant, préféra aller chasser des papillons dans la clairière avoisinante.











Seulement, le castor rossé ne l'était pas tant que ça, et se réveilla après "seulement" 2 heures de coma. D'abord partagé entre l'envie d'aller prendre sa revanche sur l'insolent rongeur - ironie : les castors sont aussi des rongeurs, mouarf -, et celle de sauver son ouvrage flottant, il opta rapidement pour la seconde option et pu consolider son barrage avant qu'il ne cédât.











On n'en parle pas assez, mais en réalité l'équilibre du monde repose quasi-exclusivement sur les us et coutumes des ratons et des castors (le "quasi" faisant référence à l'impact non négligeable qu'ont les papillons sur l'ordre des saisons puisqu'il suffit qu'un seul d'entre eux batte des ailes pour provoquer un ouragan à l'autre bout du globe, et que puisqu'il y a des papillons partout dans le monde, les forces de leurs battements d'ailes s'opposent et s'annulent (cependant, la Terre serait bien plus en danger si tous les papillons de l'hémisphère Est venaient à disparaître le même jour qu'elle ne l'est depuis 50 ans de réchauffement climatique)).
En effet, trop peu de personnes le savent, mais les castors et les ratons sont responsables du bon fonctionnement du cycle de l'eau sur notre planète. Et pour cause, avec les barrages des uns et ce rituel de destruction de digues en bois des autres, l'eau qui jaillit du manteau terrestre s'écoule juste au bon débit : assez rapidement pour ne pas causer d'inondations, et assez lentement pour pouvoir irriguer les sols auprès desquels elle coule et ainsi les rendre fertiles.











Or, notre raton était parti à la chasse aux papillons (activité ô combien importante quand on sait quel prix les femelles ratonnes (oui, ratonnes) attachent à ces délicats insectes qui, s'ils sont immédiatement plongés dans une ruche après leur capture et séchés 3 semaines en plein soleil une fois enduits de miel, font de ravissantes broches et autres bijoux du meilleur effet).
Son rival le castor eut donc l'occasion de sauver son barrage, ce qui eut pour effet de freiner le débit des eaux de cette rivière.
Mais le mal était bien plus profond.
Il faut savoir que la vie d'un raton est éprouvante et ne comporte que peu de loisirs. En effet, ces charmants marsupiaux (je n'ai aucune idée de savoir s'ils sont réellement des marsupiaux ou non, mais on me concèdera la flemme d'aller sur wikipédia vérifier une info dont, de toutes manières, on se tamponne le coquillard avec une patte d'alligator femelle) passent le plus clair de leur temps à faire des allers-retours entre la forêt et la rivière afin de ramener sous les frondaisons un maximum d'eau possible.
Cet intriguant processus ne sert d'une seule fin : les ratons passent la majeure partie de leur existence à nettoyer la forêt à l'eau claire. 
Il est dit que dans les temps immémoriaux où Dieu n'était encore qu'un enfant, les animaux de la forêt - qui, eux, existaient déjà à cette époque - aimaient à se rassembler près de lui pour jouer avec ce gros bébé barbu - la barbe est un attribut divin, quel que soit l'âge.
Bien entendu, chacun avait un rôle bien précis dans ce paradis d'alors. L'hirondelle emmenait les graines d'un endroit à l'autre pour propager les forêts ; la souris était chargée de la récolte des fraises ; l'éléphant écrasait tout ce qu'on lui donnait à compresser (le big bang n'ayant pas encore eu lieu et l'univers n'étant pas encore en expansion, il fallait ménager l'espace disponible) ; le pingouin s'assurait que le divin bébé ait toujours de la glace à portée (fraises + écrasement + glace = super sorbet, péché mignon divin par excellence) ; et le castor, à cause de leur queue-bouée, étaient chargés de veiller au bon écoulement des rivières.
Cependant, par un terrible après-midi de paradembre (le seul mois existant au paradis), le castor s'endormit et laissa l'eau des rivières couleur jusqu'à ce qu'il n'y en eut plus.
Voyant cela, le raton, qui passait par là, se hâta d'aller rapporter l'histoire au Tout Puissant afin, justement, qu'il puisse quelque chose.
Le raton courut, courut, et courut encore. Pendant 42 kilomètres 500, il s'époumona pour enfin parvenir au jardin divin. 
Parenthèse : à l'époque, raton n'avait pas de féminin. Et quand le singe, scribe des temps immémoriaux (ben oui, s'il n'y a pas de mémoire, faut bien les écrire ces histoires ! comment nous seraient-elles parvenues sinon ?), vit le raton arriver après avoir accompli cet exploit sportif, il hurla, car c'était une fille, "Ma Raton !!!! Qu'est-ce que tu es forte !". Assez étrangement, l'humanité n'a conservé que la première partie de cette expression ... fin de la parenthèse.
Lancée à pleine vitesse, elle ne vit Dieu qu'au dernier moment  et lui rentra en plein dedans, faisant valser son beau sorbet à la fraise sur le sol.
Dieu entra dans une colère noire et jura que toute la descendance ratonne devrait nettoyer toutes les forêts du monde qu'il créerait bientôt (même Dieu dût attendre l'âge de raison divin avant de pouvoir créer des mondes). Et quand il appris pourquoi la raton avait tant couru, sa colère ne diminua point. Bien au contraire, furieux, le Grand Architecte s'en alla réveiller le castor et le maudit.
"A partir d'aujourd'hui, tu devras construire des barrages sur les flots pour que jamais plus tu ne laisses toute l'eau du monde s'écouler. Et jamais tu n'en auras terminé, car les ratons viendront toujours détruire ton ouvrage, et il te faudra alors recommencer".

Mais, revenons-en à notre raton.
Sa race était, donc, très occupée à nettoyer les forêts. 
Le seul réel moment où il était admis qu'un raton ne soit pas en train de récurer les racines d'un vieux chêne était, justement, lorsqu'il s'en allait bastonner du castor.












Victorieux et impatient, notre raton était à la chasse aux papillons. Un activité hautement gratifiante car elle lui permettrait, à coup sûr, de s'attirer les faveurs d'une belle ratonne. 
En rentrant au village raton, il offrit un magnifique papillon (un machaon grand porte-queue ! c'est vous dire ...) à la rongeuse de ses pensées et bomba son torse velu devant toute sa tribu.
L'histoire fit bien vite le tour des foyers ratons et bientôt tous les jeunes laveurs voulurent faire de même. Quel besoin était-il de rester 3 heures et demi à pavaner sur une rive après avoir boxé un castor quand on pouvait utiliser ce temps pour attraper un papillon qui pouvait séduire une femelle ?
Dès lors que la combine fut percée à jour, tous les jeunes ratons se mirent à faire de même, et bien peu restèrent au bout des 3 heures trente pour s'assurer que leur victime castor ne serait pas à même de réparer son barrage.
Ainsi, les "ratés" se multiplièrent - et vinrent s'ajouter au nombre, normal, de ratons finissant rossés par les castors qu'ils avaient attaqués : car ceux-ci ne se laissent pas faire non plus. Il y eut plus en plus de barrages et bientôt, le monde fût inondé.











En ce temps là, Dieu passait beaucoup de temps à jouer avec sa dernière création, l'humain.
Quand celui-là eût les pieds dans l'eau, sans comprendre ce qui lui arrivait, celui-ci sortit de sa contemplation narcissique (il a fait l'homme "à son image" !!!) et s'en alla voir ce qu'il se passait dans la forêt.
Il ne lui fallu guère de temps avant de trouver les coupables. 
Décidément, se dit-il alors, les animaux sont ingérables ... 
Il eût alors une étrange idée.
Puisqu'il était trop occupé à créer l'univers pour pouvoir s'occuper des animaux, il laisserait l'humain s'en charger en son nom. Aussitôt dit, aussitôt fait - au sens littéral : il est omnipotent et possède donc le Verbe absolu, le performatif divin.
L'humain qui ne comprenait toujours pas d'où venait toute cette eau en reçut soudain des trombes sur la tête. Une tempête diluvienne commença.
Guidé par une inspiration toute divine, l’humain construisit un grand bateau, dans lequel, comme par magie et sans qu'il se demande ni comment ni pourquoi, toutes les races d'animaux se présentèrent bientôt par binômes. Finalement, pendant que Dieu cherchait la bonde de l'Océan Pacifique avec son masque et son tuba, le monde fut submergé. 
Quand enfin il l'eût trouvé et que les continents émergèrent de nouveau des eaux, l'humain laissa les animaux quitter son embarcation et remarqua que les ratons portaient maintenant un bandeau noir sur leurs yeux : le stigmate divin de la honte qui allait, génération après génération, devenir partie intégrante de leur pelage. 
Les animaux partis, Dieu expliqua à l'homme le goudron et le béton armé, afin que ce dernier puisse construire zoos et barrages, pour administrer le monde de manière plus sage que la vie sauvage.
Puis il partit en voyage, créer un autre univers. Et, même quand on est Dieu, sortir d'un univers en expansion pour aller en créer un autre dans le vide intersidéral voisin, ça fait loin.












L'on dit que le nouvel univers a été créé il y a peu (quelques milliards d'années tout au plus). Dieu devrait bientôt être de retour.

Depuis quelques temps, si l'on se promène dans les bois la nuit, il est possible d'entendre de drôles de bruits. Les rires étouffés des ratons qui se fendent la poire à l'idée de ce que Dieu dira quand il verra ce que l'humain a fait de son monde. 
Mais qui sait, peut-être que si l'humanité lui prépare un bon sorbet aux fraises, il passera l'éponge ... comme les ratons dans la forêt ?




Lisa

samedi 17 janvier 2015

Sonnet dézingué #4 : Le Colibri



Toujours dans la veine des "sonnets dézingués" (dont la méthode est exposée ici), je vous propose aujourd'hui un texte, fable "à la manière de" La Fontaine, sur le thème de l'engagement et de la solidarité.
En espérant que ça vous plaira ...



Le Colibri


Le colibri, oiseau gracile,
Quand le sous-bois s'est embrasé,
A décidé, lui si fragile,
De préserver son nid boisé.

Tous à la file, au pas de l'oie ; 
Tous déphasés et aux abois ;
Les animaux se sauvent, hagards.

Hors du convoi, le frêle oiseau
Se précipite - il est fébrile - 
Chercher de l'eau près des roseaux,
Chez le vieux Phil, le crocodile.

Le gros reptile, énorme et roi,
Vient lui jaser : "Vire de là !
File minot ! Allez, décarre !"

"Sauve ton cul, petit moineau,
Car la forêt sera rasée !"
Sur le départ, avec son eau,
L'oiseau lui dit, sans le toiser :

"C'est difficile et je me bats.
Laisse passer ! Car moi, tu vois,
Je porte l'eau, je fais ma part !"

Marcel Shagi