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lundi 31 janvier 2011

Qui de nous deux ...

 


 ... ou l'histoire de la poule et de l'oeuf.





Alors, nous y voilà. Je me dis qu’il faudrait que j’écrive quelque chose, que ça serait bien de fournir un peu les pages de mon cahier. Ma raison a parlé : ce soir, je compose. Cela fait en effet trop longtemps que je ne produit plus rien de bon, voire plus rien du tout. Il faut que cela cesse. D’où ma motivation d’aujourd’hui. Ecrire, voilà l’important. Quelque chose de plaisant. Plutôt léger, mais profond. Une friandise, pour ainsi dire, avec un arrière goût agréable et qui donne à penser. Oh ! rien de trop sérieux. Déjà parce que je ne suis qu’une vulgaire écrivaillone : hormis les mots, leur musique et la manière de les faire valser, je n’ai aucun domaine de compétence ; et je serais bien en peine de disserter sur autre chose que sur la littérature. Et puis aussi, parce que je suis ennuyée par le monde. Les relations sociales, les interactions, tout ça, c’est moche. Quelqu’un finit toujours par vous tromper, vous utiliser pour son intérêt propre, et, à la fin, on est toujours le con de quelqu’un. Mais dans les livres, qu’on les écrive ou qu’on les vive, on n’a jamais ce problème. Enfin, il ne s’agit là que de l’opinion d’une misanthrope apathique. Donc, indiscutable. 

Il s’agit d’écrire. Seulement voilà : quoi ? Il paraît que la littérature est un muscle, et qu’à ce titre, on peut tout écrire. N’est-ce pas le sens du célèbre «qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse» ? Peut être ... moi même je n’ai pas tranché la question. Je me demande, c’est tout. Je me demande parce que je ne sais toujours pas quoi écrire. Alors j’écris. Logique de scribouillarde, me direz-vous, quoi que ce mot, comme écrivaillone, sonne à mon oreille comme un horrible néologisme barbare qui vient —un de plus- fragiliser d’avantage la belle langue de Molière, blahblahblahdediscourscryptoconservatistesurlalangue. Oui et non. Après tout, Hugo lui-même écrivait des alexandrins sur ses serviettes au petit déjeuner «pour se mettre le rythme dans le poignet». Et comme l’appétit vient en mangeant, j’ai le fol espoir que l’inspiration vient en écrivant. 
Bon, voilà pour les préliminaires. Maintenant, faudrait que je passe aux choses sérieuses. D’abord, il me faut un sujet, un thème, un truc quoi. Sur quoi écrire ? A propos de quoi ? Quel pan de la réalité est encore vierge d’encre ? Comment puis-je faire aussi bien, sinon mieux, que mon dernier roman ? 

Alors que le bruit de sa machine à écrire emplissait sans discontinuer l’espace de son petit appartement, se tramait dans le dos d’Isabelle un complot des plus sombres. En effet, une quelconque divinité s’était penché sur elle et avait tué en elle toute inspiration ... 

Non, c’est mauvais ça ! 
Comment puis-je espérer accrocher un quelconque lecteur avec un tel incipit. En plus, c’est mal écrit. Allez, on se reprend. 

Assise à sa table à écrire, Marianne redoutait la page blanche. Cette peur que connaissent bien des écrivains et autres dessinateurs l’avait saisie dès qu’elle s’était assise et ne la lâchait plus depuis. Afin de conjurer le sort, la jeune femme tentait vainement d’écrire ce qui lui passait par la tête, dans l’espoir de pouvoir capturer cet éclair de génie que tous les créateurs ont, de temps à autres, mais qui est si intense et si évidente qu’elle est oubliée sitôt après s’être manifesté. D’où «l’éclair». Attraper au vol l’idée, donc. Et pour cela prendre en note, sans discernement, tout ce à quoi elle pensait. Comme une sorte d’écriture automatique, sans tri aucun, sans structure ni projet. 
Les touches de son ordinateur produisaient un léger bruit de fond qui lui rappelait ces hackers dans les films. Elle se voyait, parfois, pirate, black-hat comme ils disent. Elle désactivait des pare-feux et entrait subrepticement dans le système informatique de la CIA. Ces jours là, c’étaient des pages entières de son traitement de texte qui s’emplissaient de caractères désordonnés et sans logique. Elle ne tapait plus que pour ce petit bruit, que pour ce frisson, ce rêve éveillé avec, juste avant le réveil, la croyance d’avoir une destinée hors du commun et une vie qui valait la peine d’être vécue. 

Non ! Ce n’est que du Bovarisme ... Je ne vais pas donner à mon personnage une telle personnalité. Elle me ressemblerait trop. Il faudrait quelque chose de plus sérieux, quelque chose de plus profond. On y revient, profond mais léger. Oui, mais comment ? Parce que ça n’est pas tout d’avoir la bonne idée car c’en est une- de se dire «je dois écrire quelque chose de génial», il faut encore pouvoir la réaliser. Et là ... je sèche. Honteusement. Je sèche même plus vite que l’encre de mon imprimante laser. Pourtant, c’est une laser quoi. Une référence en matière de séchage rapide. Et ben moi, je vais plus vite qu’elle ! Pathétique gloire que celle de celui qui défaillit le premier. Et puis, c’est même pas beau comme phrase ça, pathétique gloire bidule chose. C’est trop alambiqué, trop biscornu. 
Ah, je sais, déjà, pour le style, je vais me lancer dans quelque chose de simple. Des phrases courtes, comme dans une dissertation : une phrase, une idée. Allons-y. 

Dehors il fait beau. C’est le printemps et la nature se réveille. Quelques hortensias bourgeonnent à son balcon sans qu’elle y fasse attention. Pourtant, leur renaissance est magnifique. Elle, c’est Andromède. Un pseudonyme, cela va de soi. Elle a déjà publié deux romans. Le premier à compte d’auteur. Le second chez un éditeur. Il avait bien marché, très bien même. Andromède est heureuse d’avoir pu créer, seule, quelque chose de beau. Mais elle a vite déchanté. Elle a appris que la joie ne dure pas dans ce métier. Ingénieur en mots, styliste de la grammaire, elle a un public maintenant. Le gouffre a toujours soif, les lecteurs également. Ces mangeurs de papier lui réclament une suite, ou une autre histoire «aussi bien ficelée». Mais comment faire ? La question se pose à elle. Infranchissable, elle en vient presque à jalouser Agamemnon ou Rodrigue. Eux au moins, ils avaient le choix, pense-t-elle. Mais Andromède ne peut s’offrir un tel luxe. Le choix est une illusion : il lui faut écrire. C’est vital. D’abord parce que le petit pécule que lui avait rapporté la vente de son deuxième roman commence à s’amenuiser. Ensuite parce qu’elle dépérit si elle ne noircit pas quelque page, de papier ou de cristaux liquides. 
Malheureusement, son élan vital se trouve bloqué. Bloqué par l’angoisse, par la peur. Elle n’est plus libre désormais. Auteur qui vient de percer, elle existe maintenant sur la scène littéraire, et ses lecteurs attendent d’elle quelque chose. Une certaine qualité, un certain style. Finis les jeux, les essais, les abandons. Elle s’est lancée, elle ne peut plus reculer. Mais la peur est là. La peur de décevoir, la peur de ne pas réussir. La peur de l’échec. Un échec d’autant plus grand qu’elle aurait mis tout son talent pour réitérer l’exploit de son deuxième bouquin. Elle ne le supporterait pas. Inconsciemment, elle le sait. Alors elle pianote, distraite, sur son clavier. La mélodie des touches pressées la porte dans un imaginaire moins dur. Elle se voit triomphante, révolutionnant la langue et le genre romanesque. D’autre fois, elle imagine un personnage écrivain, et elle la charge de régler ses problèmes. C’est au personnage d’écrire, de mettre fin à la page blanche. Et en attendant, la page, la vraie, est toujours vierge ...

Marcel Shagi 

En hommage à Flight et ses lignes sur l'inspiration (ou, plus justement, le manque d'inspiration). Également, une pensée pour Italo Calvino dont le Si par une nuit d'hiver un voyageur m'a beaucoup marqué et est à l'origine d'une partie de ce texte. 

3 commentaires:

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